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Benigna Zimba (conceptrice du Musée de l’esclavage intercontinental) : « L’esclavage a été surmonté, l’heure est à la promotion du patrimoine culturel »

La professeure Benigna Zimba, conceptrice du Musée de l’Esclavage devant la Commission Vérité et Justice, était à Maurice la semaine dernière pour participer à l’ouverture du Musée de l’Esclavage intercontinental. Le-Mauricien l’a rencontrée avant qu’elle ne regagne le Mozambique. Elle nous parle du parcours qui a mené à la création de ce musée et des ramifications de la traite des esclaves dans cette région du monde. Elle s’appesantit sur « le caractère unique du musée qui dépasse la dimension locale pour prendre un caractère intercontinental », soulignant qu’à ce titre, il est appelé à briller sur le plan international. Elle nous rappelle que l’esclavage a été surmonté et que cela « ne sert à rien de continuer à se plaindre des horreurs commises. L’heure est à la préservation et la promotion de l’héritage culturel découlant de l’esclavage ».

 
Benigna Zimba, vous êtes la conceptrice du musée de l’Esclavage intercontinental. Peut-on dire que l’ouverture du musée est pour vous la concrétisation d’un rêve ?
It’s true. Really. J’ai toujours eu la foi dans la concrétisation de ce projet et j’ai toujours été confiante que ce jour viendra même si nous avions connu des moments difficiles, notamment avec la pandémie de Covid-19.
Vous savez, dans ce genre projet, le temps ne compte pas. Sa réalisation prend le temps qu’il faut. Je suis d’autant plus heureuse que l’entrée en opération du musée a montré la permanence de l’Etat à Maurice car c’est un précédent gouvernement qui a initié le projet et l’actuel gouvernement l’a concrétisé.
Personnellement, pour ce qui me concerne, je peux dire que I’m blessed. Je suis bien placée pour vous dire que c’est une des rares fois où un projet soumis par une femme noire africaine est accepté en dehors de son pays. Tout le crédit va à la République de Maurice, à son gouvernement et à son peuple. Maurice a prouvé qu’il est une nation internationale ouverte sur le monde et pratique une gouvernance de haut niveau

Comment vous êtes-vous intéressée à la question de l’esclavage à Maurice ?
Je suis Associate Professor à Eduardo Mondlane University à Maputo. J’occupe les fonctions de Senior Historian de la traite des esclaves au Mozambique et de l’esclavage en général. J’ai aussi occupé le poste de vice-président du projet de l’Unesco de la route des esclaves.
À ce titre, j’avais été invitée à représenter le continent africain devant la Commission Vérité et Justice présidée par Alex Boraine pour toutes les questions concernant l’esclavage au-delà de Maurice.
Je suis venue à Maurice pour la première fois en 2008. Par la suite, j’ai visité le pays régulièrement dans le cadre de mes attributions auprès de la commission Vérité et Justice.

Comment l’idée de musée de l’Esclavage intercontinental vous est-elle venue ?
L’idée d’un musée de l’Esclavage intercontinental est née au Mozambique où il devait initialement être créé. Mais dans les années 2007, 2008, 2009, les conditions n’étaient pas réunies pour mettre sur pied un tel musée dans ce pays.
Un tel projet nécessite une volonté politique et le soutien du gouvernement. Le pays était en pleine mutation économique et politique. J’ai pensé que Maurice était le pays idéal pour le réaliser à cette époque.
Ainsi, avec l’aide de plusieurs académiciens mauriciens, nous avons commencé à travailler sur le projet. C’est de la connexion entre le Mauritian Family Origin Project, l’Unesco Trade Route Committee, les travaux de recherche de Mondlane University, de l’université de Maurice que le projet de Musée intercontinental de l’esclavage a pris forme.
Dès le départ, nous avions développé la notion d’un musée qui ne se limiterait pas à la situation de l’esclavage localement mais qui rayonnerait avec une dimension continentale et la possibilité à terme de créer des branches au Mozambique ou ailleurs.

Nous avions réfléchi au concept de musées satellites qui orbitent autour du musée mère l’ISM. Nous savions qu’un tel projet était coûteux et nécessiterait beaucoup de contributions de la part des pays partenaires. L’aide de l’Afrique du Sud avait été sollicitée à travers le Nelson Mandela Centre. L’idée a été accueillie favorablement.
Entre 2012 et 2014, prise par d’autres engagements au niveau international, je ne suis pas venue à Maurice mais avais maintenu un contact avec les académiciens de l’université et d’autres chercheurs dont Vijaya Teelock, Jimmy Harmon, Stephanie Tamby, Stephan Karghoo, entre autres.
En 2015, je suis retournée à Maurice. La question de savoir où en était le projet de création de musée m’a été posée à plusieurs reprises. Je n’étais pas en mesure d’y répondre. Nous sentions la pression concernant la mise en place du projet. La question était évoquée à chaque fois que nous commémorions l’abolition de l’esclavage.

La réponse est venue du gouvernement quelques mois plus tard lorsque le conseil des ministres mauriciens a annoncé que le projet avait été approuvé. Jean-François Chaumière, affecté au bureau du Premier ministre avait, selon nos renseignements, effectué beaucoup de pressions positives à son niveau.
Un Special Purpose Vehicle a été créé pour la mise en œuvre du projet sous la présidence d’un haut fonctionnaire expérimenté, Jean-Maxy Simonet.
L’annonce de la validation du projet par le gouvernement était une grande nouvelle. Si les académiciens étaient responsables de l’élaboration du projet, l’endroit où il serait créé et le financement des infrastructures relevaient du gouvernement. Après de longues réflexions et des recherches historiques, il a été décidé que le musée serait créé au sein de l’ancien hôpital militaire.
Lors de ma première visite du site en question, j’avais eu un choc. À la vue de l’état du bâtiment, j’ai eu des appréhensions concernant la pertinence de l’endroit. J’avais peur.

Mais après discussions avec les collègues, j’ai compris son importance et j’ai accepté l’idée. Le gouvernement, par le biais du ministère de la Culture, a pris les choses en main. De plus, des discussions avec des pays étrangers ont été engagées dont la France, les États-Unis et le Japon. Comme quoi, la base du caractère intercontinental du projet était jetée. L’Europe, l’Amérique et l’Asie étaient impliqués dès le départ.

Certaines personnes déplorent l’absence des objets qui caractérisent l’esclave comme les chaînes…
Ce sont des choses que nous voyons dans tous les musées du monde. Or il a fallu donner au musée de l’Esclavage intercontinental une dimension qui n’existe pas dans les autres musées et, non pas, simplement répéter ce que les autres ont déjà effectué. En quelque sorte, l’ISM est un musée unique.

Il ne faut pas oublier que Maurice a été le premier pays au monde à avoir consacré une commission Vérité et Justice à l’esclavage et aux travailleurs engagés. Donc l’ADN du musée est différent. Il doit nous permettre de voir notre propre identité et de nous identifier à travers le musée. Nous sommes en mesure de voir les visages des esclaves, les habits qu’ils portaient, les forêts où ils vivaient. Il a aussi fallu montrer l’esclavage dans sa dimension régionale et internationale. À Maurice, il serait intéressant un jour de reconstituer les villages et les endroits où vivaient les Africains avant d’être capturés et transformés en esclaves. Il faudra avancer phase par phase.

Vous insistez beaucoup sur le caractère intercontinental du musée…
Comme son nom l’indique clairement, le Musée de l’Esclavage est intercontinental. Comme je l’ai déjà expliqué dans différents papiers qui ont été publiés, la nature de cette entreprise nécessite des connexions et une interdépendance avec des institutions et/ou des organisations connexes, qui ne sont pas nécessairement hébergées à Maurice.

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